• Avis sur le livre : Petit cours d'autodéfense intellectuelle, de Normand Baillargeon

    L’idée est aussi vieille que le monde qui l’a vue naître : Platon imagina une Cité où la philosophie serait souveraine et guiderait les activités humaines. En d’autres mots, il luttait contre le mensonge et l’ignorance en faisant appel aux armes du savoir juste et raisonnable. Son point de vue avait saisi comment se forment les opinions et croyances communes et surtout comment celles-ci arrivaient à convaincre et à conditionner la pensée de chacun. Le citoyen qui arrive à se libérer de la force d’inertie de l’opinion devient étonné par ce qui était anodin auparavant. Cette prise de conscience devient la voie ouvrant à la réflexion philosophique. Critiquant au départ le conditionnement par l’opinion, Platon remettait aussi en question le fait que toute vérité se ramène à ce que chacun pouvait en avoir vu ou entendu. Comment en arriver maintenant à départager le fait de croire quelque chose du fait de le savoir? D’emblée, ceci implique de maîtriser le sujet discuté autant que les critères de rationalité qui y sont liés afin d’être en mesure par la suite d’agir efficacement sur le monde.

    Dans le chapitre sur le langage, Norman Baillargeon fait un tour d'horizon exhaustif des différentes façons d'abuser de la crédulité des gens grâce à des utilisations tortueuses de la langue de Molière. Tout y passe, le monde de la politique, de la publicité et des sciences. Dans ce chapitre, à l'instar de l'ensemble du livre, le rythme est soutenu et de nombreux exemples illustrent les notions présentées. Le chapitre suivant sur les mathématiques maintient ce rythme tout en faisant ressortir les talents de pédagogue de l'auteur. Il s'adresse de façon rassurante et amusante aux « mathophobes » en rappelant, avec raison, que les principaux concepts de base en mathématiques ne sont pas aussi complexes qu'on le croit. De nombreux exemples d'abus bien choisis devraient inciter le lecteur à améliorer sa compréhension des mathématiques afin de ne pas se laisser berner par ces formes « sophistiquées » du mensonge.

    La deuxième partie du livre aborde au troisième chapitre la question de l'expérience personnelle et propose un tour d'horizon de nombreuses recherches en psychologie. Cette section est intéressante, mais il aurait été intéressant de présenter de façon plus étoffée la théorie de la dissonance cognitive de Festinger qui offre tellement d'applications et d'exemples au quotidien. Quant aux expériences classiques de Milgram sur la soumission à l'autorité exposées dans ce chapitre, eh bien, c'est le talon d'Achille du livre. L'auteur n'a pas fait preuve ici de l'esprit d'analyse exhaustive et critique qu'il prône. Les expériences de Milgram comprennent 18 variantes de l'expérience princeps et les résultats obtenus ne donnent pas « froid dans le dos », n'appuient pas la notion de soumission « aveugle » à l'autorité et ne permettent pas de conclure que « nous sommes tous des bourreaux en puissance ». L'auteur semble n'avoir retenu que les quelques phrases sensationnalistes fréquemment retrouvées dans les livres de psychologie sociale au sujet des expériences classiques de Milgram.

    Le chapitre suivant est un bijou dans le domaine de l'épistémologie et de la promotion de la pensée scientifique. Baillargeon fait preuve d'une compétence de haut niveau dans sa présentation de l'importance des méthodes scientifiques de compréhension de la réalité. Le dernier chapitre sur les médias lance un message aux diffuseurs quant à la qualité et à l'objectivité de l'information offerte aux citoyens tout en cherchant à outiller ceux-ci pour qu’ils prennent une distance critique.

    Tout dans ce livre vise à rendre les lecteurs plus informés conséquemment plus vigilants et critiques face à toutes formes d'informations portées à leur attention. Norman Baillargeon fait ici une contribution importante à l'avancement de la véritable « lucidité » des citoyens du Québec.

     

    à suivre...