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Lecture de : Traité d’athéologie Michel Onfray
L’individu progressiste du XXIè siècle peut se croire à l’abri de la religiosité parce qu’il n’adhère pas à une Église en particulier. Mais sa vie, à son insu, reste souvent pétrie de petites superstitions fragmentaires qui l’empêchent de développer une véritable pensée laïque. Dans ce contexte, l’idée nietzchéenne de la mort de Dieu se révèle un leurre, tant on peut constater la prégnance du religieux dans le monde aujourd’hui, que ce soit à travers les phénomènes terroristes ou sectaires. Certains esprits occidentaux ouverts sur le monde, se pensant libérés de leur ancrage religieux au profit d’un humanisme de bon aloi, répliquent à cette montée du fanatisme par des vœux pieux. Ils prêchent la tolérance, mais refusent d’accomplir jusqu’au bout leur «devoir» intellectuel : la critique radicale de l’obscurantisme que toute religion induit, quelle qu’elle soit. La mise au rencart définitive des «folies» religieuses n’est donc pas pour demain, et ce, sous le fallacieux prétexte que nous en avons besoin pour comprendre ce que la destinée humaine recèle d’inconnaissable dans ses origines comme dans sa fin.
L’hédonisme salvateur
En effet, toute religion tente d’expliquer le monde de manière extensive, donnant des réponses béton à des questionnements existentiels flous. Les trois grandes religions traditionnelles, la juive, la chrétienne et la musulmane, sont particulièrement fécondes en ce qui a trait aux prescriptions et aux interdictions à travers lesquelles les croyants doivent consolider leur foi. Ces règles de vie (concernant l’alimentation, le code vestimentaire, l’hygiène, les comportements en société, la sexualité, la morale, bref tout ce qui fait l’homme) s’avèrent souvent des moyens pervers de négation du réel et, paradoxalement, au final, de la vie même. Les fictions religieuses, basées sur des superstitions ou des anachronismes, restent ainsi un moyen d’infantiliser les esprits et de brider les corps, par un déni marqué de ce qui touche aux sens.
Les trois Livres sacrés procèdent d’un même mépris pour tout ce qui relève de la matière : seule l’Âme est immortelle; notre incarnation, elle, est vouée au Néant. Dès lors, toute forme de pensée moderne, intégrant entre autres les explications scientifiques de la création du monde, ou encore celles de la médecine concernant les besoins physiques de l’humain (alimentaires, prophylactiques, sexuels, etc.), ne peut se développer dans le sens d’un mieux-être-au-monde. Par exemple, le christianisme s’est fourvoyé profondément en défendant le dogme à tout prix au détriment d’une vérité plus objective, celle de la science : si l’héliocentrisme de Galilée a été tardivement reconnu, l’atomisme d’Épicure ou l’étude de la lumière de Nicolas d’Autrecourt, en revanche, ne l’ont jamais été, en dépit de la justesse des intuitions empiriques de ces deux penseurs. Dans le cas de la médecine, c’est encore pire. L’utilité de la circoncision et l’impureté des femmes, idées pronées par les trois monothéismes d’ailleurs, paraissent aujourd’hui plus que douteuses; le Vatican persiste quant à lui dans sa négation du monde réel en condamnant les avancées d’un champ de connaissances important comme la génétique. Celle-ci se révèle en effet irrécupérable du point de vue théologique, car elle permet d’affirmer en partie ce qu’aucune religion ne peut admettre sans compromettre son autorité : la nature possiblement corporelle de la psyché humaine.
On reconnaît bien là le caractère réactionnaire et éteignoir de l’Église. Il y a donc urgence de se libérer des irrationnalités religieuses, qui ont le pouvoir de générer, dans la volonté de défendre la tradition contre la découverte, une forte haine de soi et des autres. L’hédonisme post-chrétien peut mener à la libération de ces carcans mentaux.
Traité d’athéologie
Michel Onfray
Grasset / 2005
281 pages