• Avis sur  : Petit cours d'autodéfense intellectuelle, de Normand Baillargeon - suiteOutre le langage, les mathématiques demeurent l’autre outil incontournable permettant d’appréhender le réel pour en inférer des raisonnements valides à partir de «faits connus ou présumés». Mais sur quels critères s’appuyer pour être certain que la justification d’une opinion ou d’une observation est rationnellement juste ? Répondre à la question revient à définir ce qu’est un savoir et à évaluer ce qu’est une bonne justification. Platon définissait le savoir comme l’opinion vraie justifiée. Il s’agit plus précisément de faire la différence entre le fait de croire quelque chose et le fait de la savoir. Dès lors, la tension entre la croyance et le savoir devient manifeste à travers l’expérience personnelle. Comment s’y fabrique l’opinion vraie et justifiée chère à Platon ? Comment le jugement à son tour est-il façonné par notre perception et notre mémoire ?

    Le recours à l’expérience personnelle pour justifier nos opinions et croyances s’avère souvent limité. Comparé à des modes de connaissances plus systématiques comme la science expérimentale, l’expérience personnelle n’a pas nécessairement la valeur d’un savoir vrai et raisonnable. Si vous ne lisez que des journaux à sensations comme le Journal de Montréal ou Photo Police, vous aurez peut-être l’impression que la criminalité est en hausse à Montréal alors qu’elle diminue depuis des années. L’exemple montre bien souvent la faillibilité des conclusions et des jugements déduits à partir de notre mémoire, de notre expérience immédiate des choses. Le caractère construit des perceptions signifient que celles-ci se révèlent davantage des modèles du monde extérieur que des copies toujours fiables en lesquelles nous devrions mettre toute notre confiance. D’où le fait de prendre en considération l’influence de nos savoirs et de nos attentes sur nos perceptions.

    De la même manière que la perception fait appel à la faculté d’observation, les méthodes issues des sciences empiriques et expérimentales éclairent la difficulté. En effet, la science a quelques leçons à donner à nos facultés sensibles. Sur le plan de la connaissance, les méthodes et pratiques scientifiques demeurent en rupture par rapport à notre savoir personnel dans la mesure où les objets sur lesquels la science porte son regard nous sont donnés dans l’expérience immédiate des choses. Maîtriser certaines règles de la méthode scientifique, saisir la rationalité spécifique à la science et sa posture d’objectivité devant le réel, ces caractéristiques peuvent d’emblée avoir très peu à voir avec le sens commun. Nous pouvons retourner la question en affirmant que la science est un prolongement rigoureux du sens commun dans la mesure où ses découvertes sont en effet hors du commun.

     

    à suivre...

     


  • L’idée est aussi vieille que le monde qui l’a vue naître : Platon imagina une Cité où la philosophie serait souveraine et guiderait les activités humaines. En d’autres mots, il luttait contre le mensonge et l’ignorance en faisant appel aux armes du savoir juste et raisonnable. Son point de vue avait saisi comment se forment les opinions et croyances communes et surtout comment celles-ci arrivaient à convaincre et à conditionner la pensée de chacun. Le citoyen qui arrive à se libérer de la force d’inertie de l’opinion devient étonné par ce qui était anodin auparavant. Cette prise de conscience devient la voie ouvrant à la réflexion philosophique. Critiquant au départ le conditionnement par l’opinion, Platon remettait aussi en question le fait que toute vérité se ramène à ce que chacun pouvait en avoir vu ou entendu. Comment en arriver maintenant à départager le fait de croire quelque chose du fait de le savoir? D’emblée, ceci implique de maîtriser le sujet discuté autant que les critères de rationalité qui y sont liés afin d’être en mesure par la suite d’agir efficacement sur le monde.

    Dans le chapitre sur le langage, Norman Baillargeon fait un tour d'horizon exhaustif des différentes façons d'abuser de la crédulité des gens grâce à des utilisations tortueuses de la langue de Molière. Tout y passe, le monde de la politique, de la publicité et des sciences. Dans ce chapitre, à l'instar de l'ensemble du livre, le rythme est soutenu et de nombreux exemples illustrent les notions présentées. Le chapitre suivant sur les mathématiques maintient ce rythme tout en faisant ressortir les talents de pédagogue de l'auteur. Il s'adresse de façon rassurante et amusante aux « mathophobes » en rappelant, avec raison, que les principaux concepts de base en mathématiques ne sont pas aussi complexes qu'on le croit. De nombreux exemples d'abus bien choisis devraient inciter le lecteur à améliorer sa compréhension des mathématiques afin de ne pas se laisser berner par ces formes « sophistiquées » du mensonge.

    La deuxième partie du livre aborde au troisième chapitre la question de l'expérience personnelle et propose un tour d'horizon de nombreuses recherches en psychologie. Cette section est intéressante, mais il aurait été intéressant de présenter de façon plus étoffée la théorie de la dissonance cognitive de Festinger qui offre tellement d'applications et d'exemples au quotidien. Quant aux expériences classiques de Milgram sur la soumission à l'autorité exposées dans ce chapitre, eh bien, c'est le talon d'Achille du livre. L'auteur n'a pas fait preuve ici de l'esprit d'analyse exhaustive et critique qu'il prône. Les expériences de Milgram comprennent 18 variantes de l'expérience princeps et les résultats obtenus ne donnent pas « froid dans le dos », n'appuient pas la notion de soumission « aveugle » à l'autorité et ne permettent pas de conclure que « nous sommes tous des bourreaux en puissance ». L'auteur semble n'avoir retenu que les quelques phrases sensationnalistes fréquemment retrouvées dans les livres de psychologie sociale au sujet des expériences classiques de Milgram.

    Le chapitre suivant est un bijou dans le domaine de l'épistémologie et de la promotion de la pensée scientifique. Baillargeon fait preuve d'une compétence de haut niveau dans sa présentation de l'importance des méthodes scientifiques de compréhension de la réalité. Le dernier chapitre sur les médias lance un message aux diffuseurs quant à la qualité et à l'objectivité de l'information offerte aux citoyens tout en cherchant à outiller ceux-ci pour qu’ils prennent une distance critique.

    Tout dans ce livre vise à rendre les lecteurs plus informés conséquemment plus vigilants et critiques face à toutes formes d'informations portées à leur attention. Norman Baillargeon fait ici une contribution importante à l'avancement de la véritable « lucidité » des citoyens du Québec.

     

    à suivre...

     

     


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    Aristide Saccard, à l’ancienne

    Le livre : La Curée (1872) et L’Argent (1891) d’Emile Zola, deux épisodes de la grande saga des Rougon-Macquart.
    Le biz : Opportuniste et versatile, Aristide Rougon a choisi de se renommer Saccard parce qu’ "il y a de l'argent dans ce nom là ; on dirait que l'on compte les pièces de cent sous". Ce maître de la spéculation connaîtra successivement l’enrichissement et la ruine. A l’époque du scandale de Panama, du krach de l’Union Générale et de l’ascension des Rothschild, la finance est un véritable vivier de profils romanesques, ce dont les œuvres du XIXe siècle - celles de Zola sont les plus techniques mais pas les seules - ne manquent pas de rendre compte.
    Voir aussi :

    - La Bourse dans le roman du second XIXe siècle. Discours romanesque et imaginaire social de la spéculation de Christophe Reffait.

    Dette – 5 000 ans d’Histoire, de David Graeber

     

    Harry White, le possédé

    Le livre : Le Démon, Hubert Selby Jr (1976) qui fait parler de lui au moment de sa sortie, tant il dégage de violence et de désespoir.
    Le biz : Jeune cadre fortuné, Harry White est soumis à un nombre incalculable d’angoisses qui lui rendent la vie impossible. Préfigurant le Patrick Bateman de Bret Easton Ellis, le personnage de Selby invite à réfléchir sur les notions de pouvoir, de sexe et d’argent, mais aussi d’identité et de déséquilibre. « Ses amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des femmes... des femmes mariées. »
    Voir aussi : Money, Money de Martin Amis, dans lequel John Self, un riche publicitaire, est lui aussi en proie à quelques dérives

     

    Dennis B. Levine, dieu de l’OPA

    Le livre : Wall Street. Confessions d’un golden Boy, aux éditions Payot et Rivages. Après avoir passé 17 mois en prison, Levine raconte : l’engrenage, le luxe, la facilité… Son autobiographie a inspiré le célèbre film Wall Street avec Michael Douglas.
    Le biz : d’abord simple employé de banque, Levine intègre en 1981 Lehman Brothers et se spécialise dans les fusions/acquisitions. C’est ainsi que commencera son ascension : malin, Lévine entretient tout un réseau de traders qui l’informent des OPA encore confidentielles. Il achète des actions. L’argent tombe. Au total, plus de 10 millions de dollars de bénéfices illégaux qu’il dépose que un compte au Bahamas. Levine peut enfin se payer la Ferrari dont il rêve, ainsi que tout un tas d’autres choses, jusqu’à ce qu’il soir se fasse arrêter en 1986 pour délit d’initié.


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    Constantin Chévezoff a la chance d'obtenir un poste de secrétaire à la Chancellerie de l'Impératrice de Catherine II de Russie, grâce à son ancien professeur Joseph Proutier. Constantin issu d'une famille noble mais désargentée va connaître les intrigues de la cour, les amours et la jalousie de l'Impératrice.

     

    Disgrâcié par cette femme dévoreuse d'homme, il se retrouve à Paris en pleine monarchie, c'est la révolution et l'exécution de Louis XVl et Marie-Antoinette. Il revoit Laure, une femme très belle et très autoritaire, pour son malheur il s'éprend d'elle, se sent en danger et repart pour la Russie où il retrouve son poste car l'Impératrice change de favori au gré de ses fantaisies. Il assiste à la fin du règne de l'Impératrice, ensuite à ceux de l'odieux Paul ler quasi-dément et de son fils Alexandre ler.

     

    Agé de bientôt cinquante ans, notre héros s'engage volontaire dans l'armée russe, il sera tué en juin 1807 à la bataille de Friedland.

     

    Un livre agréable à lire, une belle littérature, un personnage fictif dont l'auteur se sert pour nous faire connaître certains aspects de l'Histoire russe et de Paris à une même époque tourmentée. Ce Constantin est un personnage attachant qui inspire une certaine réflexion sur la liberté et la servitude.

     

    Votre très humble et très obéissant serviteur, d'Henri Troyat (Flammarion, 1996, 243 pages)

     


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    « Donner à voir l’au-delà des frontières », telle est la généreuse perspective de cette revue consacrée aux cultures des Balkans. De cette région d’Europe si diverse, de ces « espaces de liberté » si ouverts nous parviennent « l’humour, l’insolite, le sens de l’absurde et une certaine façon d’être en phase avec le monde », selon les mots d’Anne Madelain, rédactrice en chef. Il nous reste à accueillir et à faire nôtres ces formes culturelles, ce à quoi contribue efficacement Au sud de l’Est dans ses différentes rubriques.

    Une tentative de situation, d’abord, dans le contexte européen, fort spirituellement synthétisée, entre autres, par Andrei Plesu à propos du « Sprit », boisson née en Autriche et en vogue dans le « Royaume balkanique », définissant la Roumanie comme « un moyen terme entre l’Europe centrale et l’Europe balkanique ». Condition d’une entente entre des entités diverses : le dialogue (mis en avant par Rusmir Mahmutcehajic), mais aussi la préservation des spécificités, pittoresquement revendiquée par Silviu Purcarete : « Je me fous de l’Europe s’il n’y a pas de palinka ! » (ou de tuica, ou de schlivowitz – eaux-de-vie locales).

     

    Le chapitre « Transversales » évoque les réseaux culturels et différents centres à Sofia et à Belgrade. Le dossier central du volume, intitulé « Musique et Identité », fournit de très intéressants articles sur la musique en Bulgarie, entre folklore et modernité, sur le « Svedah », chanson populaire de Bosnie-Herzégovine devenue véritable genre musical, sur la musique tzigane… Un entretien avec Goran Bregovic permet au fameux compositeur de qualifier sa musique de « contemporaine ». Un autre dossier nous fait découvrir « Le Pays des lacs partagés », « profané » par l’absurdité des frontières instaurées, au XXe siècle, entre Albanie, Macédoine et Grèce, un pays pourtant uni par son « passé lointain », selon Bernard Lury.

    Des poèmes de Lasgush Poradeci, des photos de Klavdij Sluban, les réflexions d’un oiseau sauvage traduites par Jean Gardin, une évocation d’Éluard donnent à ces pays leur dimension esthétique et astrologique. La partie proprement littéraire prend la forme de deux nouvelles de Danilo Kiš et d’extraits de romans de trois jeunes écrivains de Iasi (Roumanie), Florin Lazarescu, Dan Lungu et Lucian Dan Teodorovici, le tout complété par des chroniques et des présentations d’ouvrages, sans oublier les belles photos et les renseignements utiles (discographie, calendrier de manifestations…).

    Une solide revue, éclectique à l’image de la région à laquelle elle est consacrée, à connaître et à faire connaître. Le numéro 3, tout aussi riche, est annoncé pour l’été 2007.






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