• Critique de 2100 récit du prochain siècle. de Thierry Gaudin

     

    Vous avez tout à fait raison d’évoquer la « rupture ». Dans notre ouvrage collectif 2100, récit du prochain siècle, publié en 1990 chez Payot, nous anticipions une crise systémique entre 2010 et 2020, trouvant son origine et sa cause dans la dérive du système monétaire. En gros, le raisonnement qui nous a conduits était le suivant : la monnaie est désormais complètement scripturale (depuis 1971, date où Nixon a détaché le $ de l’or) ; elle est aussi, de plus en plus, informatique et circule dans les réseaux à la vitesse de la lumière. Dans ces conditions, les gardiens de la création de monnaie ne pourront pas résister bien longtemps aux pressions pour créer de la monnaie sans contrepartie (ce que Rueff appelait des « faux droits ») et, s’ils résistent, la population, poussée par la nécessité, descendra dans la rue. S’y ajoutent les processus maffieux. La combinaison de ces éléments nous paraissait mener presque inévitablement à une crise systémique mondiale.


    Depuis, ce pronostic s’est confirmé, et les issues ne paraissent toujours pas clairement identifiées dans les discours des opérateurs économiques et politiques, qui ont, comme il se doit, du mal à penser un avenir qui ne soit pas le prolongement du présent.
    Dans le scénario de 2100, nous avions repris les leçons du passé. Non seulement l’après-crise de 1929, qui présente, si l’on peut dire, l’inconvénient d’avoir mené à la guerre, mais plutôt l’après-crise de 1848, où les Saint-Simoniens ont géré une politique de grands investissements publics structurants (Haussmann, les chemins de fer, les canaux etc.).
    Toutefois, de telles politiques d’une part vont à l’encontre du mouvement général de privatisation de tout, d’autre part supposent une mutation du système monétaire (que les moyens de communication risquent de faire exploser).


    Le travail le plus intéressant à ce sujet est ce que vient de publier le Club de Rome européen sous la direction de Bernard Lietaer et sous le titre Money and sustainability, the missing link, improprement traduit en français par Halte à la toute puissance des banques (Odile Jacob, 2012).


    Deux scénarios y sont évoqués :


    – le « plan de Chicago » qui consiste en une reprise en main de la création monétaire par les pouvoirs publics (reste à savoir à quel niveau, international, national, régional…) en vue de l’utiliser en priorité pour financer des investissements publics, infrastructures orientées vers l’avenir,
    – la solution de Bernard Lietaer, la diversité monétaire, qu’il illustre par de nombreux exemples, car les monnaies complémentaires, qui étaient en petit nombre dans les années 80, sont maintenant plusieurs milliers. Et le cas de l’Argentine de la fin des années 90 montre qu’elles se multiplient en cas de crise grave.
    Je ne vais pas plus loin, malgré l’intérêt du sujet. En tous cas, vous avez bien raison de l’évoquer, car c’est le grand défi des années à venir.

     

    2100 récit du prochain siècle. Thierry Gaudin PAYOT 1990