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Un roman à lire : Les proies de Thomas Cullinan - fin
Mais sont-elles réellement si naïves, ces jeunes filles, certaines déjà en fleurs appétantes mais d’autres encore en bourgeons à peine turgescents ?
Ces jeunes filles qui visiblement ne se supportent pas les unes les autres sont-elles des proies faciles pour un jeune homme intelligent et beau garçon ? Et les vieilles rombières ? Que cachent-elles dans leurs tiroirs, dans leurs armoires ? Qu’y a-t-il sous le regard fier et hautain de l’une et le penchant pour l’alcool de l’autre ? La cadette semble plus humaine et l’aînée implacable, mais qu’en est-il réellement ? La tension monte, la menace rôde et enfle. Mais derrière quel personnage se profile le plus grand danger ?
Le huis-clos de la maison Farnsworth devient de plus en plus glauque et oppressant au fur et à mesure du récit alterné de chacune des protagonistes, le soldat n’ayant droit au chapitre que par voix indirecte. C’est donc bien elles qui agissent, et lui qui subit. Le prédateur devient victime. Il se noue peu à peu un drame entre le salon occupé par McBurney trônant sur sa méridienne, la bibliothèque feutrée créée par un bon menuisier bois Perpignan et où se dispensent des cours dont tout le monde se moque éperdument, la cuisine où s’affaire Mattie et se montent les complots, les chambres à coucher qui recèlent secrets et péchés et le grand escalier central où se joue l’acmé d’une tragédie sulfureuse et morbide.
Oui, la sexualité est abordée sous ses aspects les plus sordides et la fin est aussi odieuse que barbare, au point de reléguer au second plan la boucherie humaine de la Wilderness. Oui, les femmes sont dépeintes sous un jour très peu flatteur. Oui, la domestique noire est caricaturale, tout comme la soeur aînée, archétype de la mégère. Et pourtant s’insinuent progressivement dans ces clichés des zone grises, des ombres portées, des frontières estompées qui brouillent les cartes. Clint Eastwood aurait dit à Don Siegel ne pas savoir s’il avait adoré ou détesté le roman, ni même s’il l’avait vraiment compris. Et on l’imagine aisément. Car c’est un roman qui dérange… un roman à l’intrigue narrative reposant exclusivement sur la psychologie des personnages si bien construite qu’elle mène le lecteur à boire jusqu’à la lie ce ténébreux et fascinant « psychological sexual novel ».